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Radar. Antoine Vayer, ex-entraîneur de l'équipe Festina, décrypte pour "Le Monde" les performances des coureurs lors du centième Tour de France.
Chris Froome.
Le Tour a donc le vent dans le dos. Mercredi 10 juillet, seul lors du contre-la-montre de 32 kilomètres, Chris Froome a roulé à 54,25 km/h de moyenne, presque aussi vite que la formation Argos, neuf coureurs se relayant, lors du contre-la-montre par équipes de Nice, sur 25 kilomètres. Froome est proche d'être le "meilleur rouleur de tous les temps".
Comparons maintenant la moyenne générale de l'édition 2013 aux 99 précédentes. A plus de 41 km/h, celle emmenée par le leader de l'équipe Sky et vainqueur probable sera, au moins, la troisième après les 41,65 km/h de l'époque du train US Postal du miraculé Lance Armstrong en 2005, et les 41,47 km/h du mutant Marco Pantani en 1998, avec un peloton sous EPO. Froome est bien leur égal en termes de performances. Il est même aussi "le meilleur grimpeur de tous les temps" comme il vient de le montrer dans l'ascension du mont Ventoux, dimanche.
Lire aussi : "Chris Froome : 'Je ne triche pas, point final'"
Dans notre premier radar du Tour, à Ax-3 Domaines, le Britannique avait dit la messe de manière miraculeuse, en priant à deux watts près du duo Ullrich-Armstrong de 2003. Dans le radar posé dans le Ventoux , cette fois, il a été flashé à une puissance supérieure à celle de Pantani et d'Armstrong en 2000. Avec un temps de 48 min 35 s, il est battu en temps comparé de deux petites secondes par le Texan, qui garde le record aves sa performance de 2002 sur la montée qui mène de Saint-Estève à l'arrivée, soit 15,9 kilomètres à 8,6 % de pente. Mais il a dû s'employer davantage que l'Américain en termes de watts pour l'emporter.
Ainsi sur la portion la plus fiable, car à l'abri du vent dans la forêt, entre Saint-Estève et le Châlet Reynard, Froome a été flashé à 418 watts, soit quatre de plus qu'Armstorng et Pantani. C'est un record du monde sur cette ascension, au moins dans ce type de configuration et de circonstances de course, à l'issue de la plus longue étape du Tour 2013 (242,5 kilomètres) et au bout de cinq heures d'efforts avant d'attaquer le Ventoux.
Les 30 meilleurs temps de montée du Ventoux depuis 1999,sur les 15 derniers kilomètres,de Saint-Estève à l'arrivée (en rouge, les cyclistes convaincus de dopage)199820002003200520082010201320154848,54949,55050,5
Froome a donc battu deux de nos mutants avérés préférés. Avec son potentiel d'hier, il se serait, à leur époque, amusé avec eux tout comme il a joué avec le "pur grimpeur" colombien Nairo Quintana, qui avait attaqué à 13 kilomètres de l'arrivée. Il a joué avec les watts, tout en communiquant avec son staff pendant l'effort. Il a géré ses watts. Avec son équipe, il a fait lâcher très vite Cadel Evans, vainqueur de la Grande Boucle en 2011, et qui s'est désigné lui-même avant le départ de cette centième édition comme la preuve qu'un coureur peut gagner le Tour sans se doper.
DROIT DANS SES BOTTES DE SEPT LIEUES
Des question se posent. L'EPO, les hormones de croissance et consorts ont-ils été des placebos ? Sky et Froome réinventent-ils le cyclisme ? Pour essayer de concevoir rationnellement les exploits de ce garçon de 28 ans qui banalise les performances du trio Ullrich-Armstrong-Pantani, dans des conditions similaires et comparables, je suis allé voir, longuement, mercredi 10 juillet, sir David Brailsford, avec qui j'ai peut-être couru un Tour du Pilat amateur vers Saint-Etienne.
David Brailsford est le cerveau et le manageur de l'équipe Sky. En allant à sa rencontre, le but était de combattre, avec lui, l'innocuité de la suspicion entourant son équipe et son leader. Dave est "droit dans ses bottes". Mais celles du maillot jaune qu'il entraîne font sept lieues. Il le sait. On l'a encore mesuré hier. Le tacticien et technicien gallois a tous les outils qu'il désire. Dave tenait à ce que Tim Kerrison, "coach" issu de la natation australienne, qui aurait importé la "révolution dans la méthode de l'entraînement en cyclisme" chez Sky et sa "dream team", soit là.
La simplicité, la gentillesse et la politesse de notre rendez-vous a tranché avec la rencontre faite avec Bernard Hinault ce même mercredi. Le "Blaireau" a tenté d'arracher mon accréditation en m'invectivant. Pour lui, parler dopage équivaut à vouloir tuer le Tour. Tuer le dopage, c'est pourtant sauver sa crédibilité sportive. Sir Brailsford le sait, et la Team Sky aussi, "tolérance zéro" affichée, quarante ans d'avance sur l'approche du cyclisme de Hinault et sa mentalité cacochyme, ils comprennent parfaitement que l'on puisse s'interroger légitimement sur le fait que leur leader, qui serait à l'eau claire, soit l'égal et même hier supérieur en termes de performances à ces coureurs ayant "bourré le canon" d'une foultitude de produits aux effets boostant.
LES PREUVES
"Where are the proofs ?" ("Où sont les preuves ?"), m'avait demandé Armstrong en 2000 lorsque nous avions montré que ses puissances développées, notamment dans le Ventoux, ne pouvaient qu'être le résultat de la prise de produits dopants. J'ai demandé à Dave de nous montrer les preuves que Chris pouvait humainement être l'égal de Lance. Non pas qu'il ait à prouver son innocence, mais plutôt qu'il démontre son aspect hors norme. Car finalement, après que Brailsford m'ait confirmé qu'il faisait confiance au suivi biologique de l'Union cycliste internationale et qu'il n'était pas avec lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre, nous avons convenu, Dave, Tim et moi-même, que Chris devait être sacrément exceptionnel.
Il y a une preuve qui ne trompe pas : la VO2max, soit la capacité maximale d'oxygène qu'un organisme peut consommer. Déterminant pour un sport d'endurance comme le cyclisme. J'ai entraîné Jean-Christophe Péraud jusqu'aux Jeux olympiques d'Athènes. Il est le meilleur Français sur ce Tour (9e à 7 min 47 s de Froome). Hier matin il m' a confirmé la constance de sa VO2max pendant sa carrière : elle varie entre 79 et 85 ml/min/kg, selon son poids de saison. En laboratoire, sur un plateau de médecine du sport, on peut, grâce à ce simple test, évaluer parfaitement les capacités du "moteur" d'un athlète et prédire ses performances. Péraud a toujours été, selon moi, sans dopage et... exceptionnel parmi les 500 coureurs que j'ai pu faire tester, coureurs de Festina inclus. Il a été évalué par ces VO2max, souvent. Ses performances ont toujours été humaines à nos radars et en adéquation avec ces tests.
Logiquement, j'ai donc demandé à Dave et Tim s'ils pouvaient me fournir ce simple test d'évaluation, obligatoire en France dans le cadre du suivi longitudinal pour obtenir sa licence, concernant Froome. Ils m'ont répondu qu'ils ne l'avaient pas. Peut-être travaillent-ils avec un physicien quantique ? Si Chris, dans un laboratoire accrédité, peut avoir une VO2max supérieure à 90 ml/mn/kg et qu'il peut montrer au travers d'un autre test qu'il peut maintenir 87,5 % de cette VO2max disponible plus de trente minutes, je pourrais essayer de croire qu'il est exceptionnel, magnifiquement entraîné et le meilleur grimpeur-rouleur de tous les temps. Je peux lui faire passer ces tests. Resterait à analyser son passeport biologique de manière affinée. La vie serait belle et nous pourrions faire cesser ce vent qui ne laisse aucun répit à l'arbre qui dépasse de la forêt . Il reste trois radars à décrypter dans les Alpes. Alors, sir David, Tim, vous nous les donnez ces preuves ? "Where are the proofs ?"
Antoine Vayer