Marat Izmailov wrote:Globalement, la société se droitise nettement depuis une bonne dizaine d'années ; l'offre politique ne fait que s'adapter à cette réalité. Trois grands pôles émergent, pesant chacun 25 à 30% des voix : un centre/centre gauche (Hollande/Valls/Bayrou/Juppé), une droite conservatrice et libérale (Sarkozy/Fillon/Dupont-Aignan), une extrême-droite populiste (FN). La gauche pure et dure, qui n'a guère su adapter son discours aux réalités, ne pèse plus grand chose.
Analyse intéressante, mais je crois cependant que tous ces concepts sont dépassés pour analyser la sphère politique actuelle.
Pour moi, il n'y a plus de gauche socialiste dure, tout comme il n'y a plus de droite "conservatrice et libérale". La France est une sorte de social-démocratie (Etat providence si vous préférez) intégrée au capitalisme et à la mondialisation. Tous les partis dominants sont d'accord pour maintenir cette base, et les différences entre eux relèvent davantage d'une question de degré que de nature. La droite est un peu plus libérale, la gauche un peu plus sociale, mais les divergences profondes qui sont mises en avant lors des élections concernent principalement des sujets annexes, comme l'immigration, les questions identitaires, ou les questions sociétales.
Aujourd'hui, on utilise des termes comme "libéral", "conservateur" ou "réac" qui sont complètement galvaudés en France. Un exemple de droite libérale et conservatrice, c'est celle de Cruz ou de Rubio aux Etats-Unis (voire de Paul si on cherche un libéralisme vraiment poussé). Sarkozy passe pour un communiste ultra-progressiste à côté. Et quand je pense qu'on désigne Onfray comme un réac, c'est à se pisser dessus.
Bref, non, le peuple ne se "droitise" pas à mon sens. D'ailleurs, si le FN progresse, c'est aussi parce qu'il adopte des positions beaucoup plus gauchistes qu'avant sur l'économie. Et parce qu'il récupère les classes populaires blanches qui ne sont pas de "droite" mais qui en ont juste marre de voir le PS les abandonner au profit des minorités, et encourager une immigration massive qu'elles perçoivent comme un danger (position historique du parti communiste, au passage). C'est aussi simple que ça.
La réalité, c'est que la gauche française, PS comme extrême, a perdu son électorat populaire historique. Parce qu'elle n'aborde plus suffisamment les thèmes qui rassemblent ces couches de population. Ca ne va pas plaire, mais les prolos s'en foutent de l'antiracisme, des études de genre, des luttes LGBT et de tout ce vocable académique de sociologue adepte de Michel Foucault. Pendant que les antifas font des banderoles contre l'homophobie, se flagellent en parlant de "privilège blanc", et expliquent que s'attaquer au refoulement du plaisir anal permettrait de démanteler les rapports de domination internes au capitalisme, l'extrême droite utilise des mots simples pour expliquer qu'elle défend les pauvres face au "grand capital mondialisé" et à l'immigration massive qui fait peur au français moyen (que ce soit stupide ou non, on peut le comprendre, c'est humain et ce serait pareil dans tous les pays). Les petits blancs en ont marre d'être culpabilisés par la gauche post-68arde sur ces sujets là.
Tout ce que j'explique là est revendiqué noir sur blanc par Terra Nova, le
think tank du PS, le fait de remplacer les ouvriers par les minorités ethniques et sexuelles étant une stratégie électorale. Mais une bonne partie de la gauche plus radicale fait la même chose sans le vouloir et sans forcément s'en rendre compte, par son internationalisme notamment.
Mélenchon est l'un des seuls qui a essayé de reconstituer une vraie gauche sociale et populaire ces dernières années, mais le FN de Marine Le Pen occupait déjà ce terrain là, paradoxalement. Dans l'esprit de beaucoup, le FDG c'est la même chose que le FN (socialisme, souverainisme) mais en muet sur la question identitaire, donc moins populaire à une époque où ce thème est devenu primordial pour beaucoup de gens.
Bref, pour synthétiser, je crois que le problème n'a rien à voir avec une droitisation du peuple, ou avec les notions que tu évoques. Le problème est assez simple :
- "intelligence" politique du FN qui a émergé comme principale force en abordant des thèmes simples qui parlent aux couches populaires, dépassant le clivage gauche / droite
- erreur de l'ensemble de la gauche qui a pris un tournant trop sociétal et pas assez social, et qui est trop butée sur certains sujets (diabolisation du FN, opposition à tout questionnement identitaire, etc)
Si la gauche radicale est plus populaire en Grèce et en Espagne, c'est peut-être simplement qu'elle est plus intelligente dans sa communication / ses priorités, ou qu'il n'y a pas de parti populiste équivalent au FN de l'autre côté pour occuper le terrain (Aube Dorée en Grèce c'est infiniment plus hardcore et flippant que le Front de Marine et Philippot, donc pas vraiment comparable). Peut-être aussi que l'histoire politique de ces pays explique une méfiance plus grande pour le nationalisme. Il peut y avoir pléthore de raisons valables.
Mais en aucun cas la situation actuelle ne signifie une tendance conservatrice ou réac' au sein du peuple français selon moi. D'ailleurs, une bonne partie du FN n'est ni l'un ni l'autre aujourd'hui (MMLP est conservatrice, mais pas MLP, Philippot ou Alliot), tout comme une part importante de son électorat. Vous allez voir que dans 10 ans, le FN sera même le parti le plus LGBT et féministe de France, au nom de son opposition à l' "islam rétrograde" !
Quant à l'UMP, à part quelques uns comme Wauquiez et la branche Sens Commun qui ne représente pas non plus grand chose, ce n'est pas un parti conservateur comme je l'entends. Ils ne défendent pas vraiment de philosophie politique uniforme autre que l'obsession de la sécurité, un peu de populisme, et une once de libéralisme très étatisé (oxymore ?).
Allez, va pour Dupont-Aignan, mais ça ne pèse rien ou presque.
Je précise que j'analyse tout ça en simple observateur, n'étant ni dans un camp ni dans l'autre. Le mien n'est même pas représenté aux élections.