A la croisée des Mondes
L'adaptation de la trilogie de Philip Pullman, tant attendue et tant redoutée - car tellement géniale et coriace à adapter - débarque sur grand écran. La New Line s'empare du projet et met les moyens. Ouf, ça ne sera pas du Narnia bis. C'est déjà ça. A la réalisation et au scénario, Chris Weitz. Qui est-ce ? Oye, le gars qui a fait la tarte américaine. Zut de flûte, ils vont nous détruire notre bouquin. Nooooon ! Bon. On se calme. Donnons-lui sa chance, qui sait ? Peter Jackson, c'était pas une référence avec le Seigneur des Anneaux. L'adaptation a vraiment l'air de lui tenir à coeur. Croisons les doigts. Tiens donc, le casting commence à se faire. La petite choisie pour Lyra colle bien. Daniel Craig, Nicole Kidman et Eva Green dans les rôles principaux ! Oops. Doit-on se réjouir ou bien craindre la grosse pompe à fric sans personnalité ? Le monde imaginé par Pullman sera t'il aussi fascinant et intriguant à l'écran que dans le livre ?
La réponse est non.
En fin de compte, ce que je craignais se confirme. La densité et la force de l'oeuvre de Pullman se voient étouffées et baclées dans un film qui ne dure qu'une heure quarante dénué de personnalité. Les décors et les costumes sont, certes, réussis. Pour le reste, tout n'est que gâchi et fadeur. Les acteurs semblent pour la plupart réciter leurs dialogues devant la caméra maladroite de Chris Weitz. Le montage est complètement loupé et la narration grossièrement irrégulière. Les répliques - celles de Lyra en tête - sont d'une platitude consternante et le final est tout simplement amputé de l'épilogue du bouquin nous laissant sur une pseudo-tirade héroïque de Lyra.
Quant au prestigieux casting, Nicole Kidman ressemble davantage à un alien échappé de Mars Attacks - rappelez vous cette mâcheuse de chewing-gum nonchalante qui s'introduit à la Maison Blanche - qu'à la femme fatale et machiavélique qu'elle est censée être. Son interprétation n'est pas scandaleuse mais tout bonnement sans relief, son expressivité meurtrie par les différents coups de bistouri subits ces dernières années. Daniel Craig, peu présent à l'écran - et pourtant, ils lui ont rajouté une petite scène exprès dis donc - ne semble pour le moment pas avoir la poigne et le charisme du Lord Asriel du bouquin. La jeune Dakota Blue Richards enfin, inspirée par sa comparse Emma Watson, surjoue le plus souvent et ne déclenche aucune émotion - pas aidée il est vrai par la mise en scène de son réalisateur ou pas les répliques insupportables du larmoyant et irritant Freddie Highmore qui double Pantalaimon - et ne s'en sort vraiment que sur quelques scènes. La seule à tenir la route est celle qui apparaît finalement le moins, Eva Green, discrète et appliquée. Serafina Pekkala, la reine des sorcières, et son clan constituent quasiment la seule vraie satisfaction, avec le sympathique Lee Scoresby de Sam Elliott.
Visuellement, c'est tout de même de bonne facture même si les daemons sont parfois limites. On n'atteint (heureusement) pas le désastre du Monde de Narnia. L'animation de Iorek Bernison est d'ailleurs fort bien réussie et se révèle être le seul personnage attachant du film.
Pourquoi avoir confié les clés de la saga à un incompétent ? Peter Jackson, lui au moins, s'était révélé être un excellent technicien et nous avait régalé par ses prises de vues et sa mise en scène maîtrisées. Il ne suffit pas d'être fan pour avoir le droit d'adapter une oeuvre aussi dense et riche à l'écran. Quelle frustration et surtout quel gachis que ce premier volet d'À la croisée des Mondes - honteusement renommé la Boussole d'Or - grossièrement taillé. Serais-je tenté de dire "tant mieux". Peut-être qu'un réalisateur plus inspiré - et surtout plus talentueux - reprendra un jour cette trilogie de façon intelligente et soignée.
Aux adeptes de la fantasy et aux personnes ayant lu et apprécié les livres pour leur véritable richesse, je déconseille vivement d'aller voir le film. Toutes les petites merveilles issues de la plume de Pullman se sont quasiment volatilisées sous la grosse patte de Weitz qui ferait mieux de retourner aux comédies lourdingues dont le ciné américain fait chou-gras.